L’art cinétique : quand l’art se met à mouvoir
Courant artistique protéiforme ayant émergé et connu un grand succès dans les années 1950 et 1960, l’art cinétique désigne les œuvres d’art qui intègrent le mouvement, qu’il soit réel ou illusoire, engendré par la technologie, les éléments naturels, le toucher du spectateur ou son regard, via ses déplacements et des illusions d’optiques. Ouvrant la voie à de nouveaux horizons dans la manière d’envisager l’art et renforçant les liens entre œuvres et spectateurs, l’art cinétique se poursuit aujourd’hui avec des artistes aussi divers que variés.
En 1955, la galerie Denise René – toujours active aujourd’hui et consacrée depuis 1944 à l’art abstrait géométrique et à l’art cinétique – présente une exposition qui fera date. Bien nommée « Le Mouvement », celle-ci résulte d’une proposition de l’artiste hongrois Victor Vasarely. Connu pour ses œuvres mettant en scène des figures géométriques créant des illusions d’optique, il y présente ses premières œuvres abstraites en noir et blanc, aux côtés d’artistes établis tels qu’Alexander Calder ou Marcel Duchamp et d’autres contemporains, tels que Pol Bury, Yaacov Agam, Jesus Rafael Soto (qui invite à entrer dans l’œuvre avec ses « Pénétrables »), ou encore Jean Tinguely (dont les sculptures sont alimentées par des moteurs, des rouages ou des mécanismes).
Mais l’expression « art cinétique » en tant que telle n’est officiellement utilisée pour la première fois par une institution muséale qu’en 1960, lors de l’exposition « MAT-Kinetische Kunst, Multiple Art Transformable-Art cinétique », organisée par l’artiste Daniel Spoerri au Museum für Gestaltung de Zürich. Y sont présentées « des œuvres d’art […] qui se meuvent ou sont mues » de différentes façons, une catégorisation relativement large, laissant la porte ouverte à une multitude d’expérimentations sur le mouvement. Car l’art cinétique recouvre alors des pratiques très diverses. Dynamiques et en constante évolution, les œuvres de ce mouvement sont tantôt motorisées, tantôt soumises à la force du vent (à l’instar des « mobiles » de Calder), ou mues par l’intervention du regardeur, qui devient alors un acteur dans leur réalisation, en plus de l’artiste.
Mais dès les années 1910, dans le prolongement des toiles des peintres futuristes ou des chronophotographies qui cherchent à décomposer le mouvement, les prémices de l’art cinétique se font déjà sentir sur certaines œuvres de Marcel Duchamp (à l’instar du ready-made « Roue de Bicyclette ») ou de Naum Gabo, avec sa sculpture dansante « Kinetic Construction (Standing Wave) ». Composée d’une tige d’acier fixée sur un petit socle en bois, cette dernière prend vie via la pression d’un petit bouton. Provoquées par un moteur électrique, les oscillations de la fine tige créent alors l’illusion d’une forme tridimensionnelle sinueuse.
L’art cinétique inclut alors également toute œuvre qui se meut dans le regard, sans que cette dernière soit en elle-même mobile. Cette forme d’art, dont Vasarely s’est fait la spécialité en jouant avec la perception, sera plus tard catégorisée dans un mouvement à part, sous l’appellation « Op’art » (contraction de « Optical Art »), qui s’imposera en Europe à partir du milieu des années 1960. Car les artistes explorant le mouvement dans leur œuvres font face à un débat sur les distinctions à établir ou non entre les œuvres intrinsèquement mobiles, s’adonnant à une chorégraphie dans l’espace-temps, et celles offrant une expérience visuelle donnant lieu à un mouvement imaginaire.
Certains artistes vont même jusqu’à se fédérer pour poursuivre leur réflexion dans des groupes. C’est ainsi que naît, en 1960, le GRAV (acronyme de « Groupe de Recherche d’Art Visuel »), dont font partie les artistes François Morellet et Julio Le Parc, qui cherche là encore à impliquer le spectateur dans le processus de l’œuvre pour effacer la figure de l’artiste. D’où l’importance qu’à pris l’art cinétique dans les œuvres d’art exposées dans l’espace public, à l’instar des installations de « signaux » du Grec Takis, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’art cinétique.
Après un regain d’intérêt dans les années 1990 et au-delà, via le travail d’artistes tels que Carsten Höller, Olafur Eliasson ou encore Anish Kapoor, l’art cinétique continue d’intéresser nombre d’artistes. Parmi eux, figurent notamment Fabrice Ainaut, Ueli Gantner ou encore India Serena, dont les œuvres marchent dans les pas de l’Op’art. Jusqu’au 4 avril, ces derniers exposaient certaines de leurs créations dans un hôtel particulier de l’avenue Hoche, dans le cadre de l’exposition collective « Source Code », curatée par Janine Sarbu et Santiago Torres et organisée par MetaHaus en collaboration avec les galeries Denise René, Charlot et Wagner, en partenariat avec ArtQuire.
Parmi les autres artistes contemporains ayant fait du mouvement l’une des composantes majeures de leurs œuvres, on peut également citer l’Américain Anthony Howe, avec ses sculptures à la croisée entre Op’art et art cinétique, qui se meuvent bel et bien dans la réalité, mais dont les mouvements créent également des illusions d’optiques. Néerlandais, Theo Jansen, imagine quant à lui des myriapodes géants faits de tubes de plastique et se déplaçant grâce à la force du vent. Tandis que le Vénézuélien Elias Crespin, ingénieur de formation se définissant comme un « chorégraphe de la géométrie », crée des installations mouvantes et changeantes selon leur danse, l’instant et le lieu d’où on les regarde.
Œuvre de Ueli GANTNER, "pn z", 2019, visible lors de l’exposition Metahaus, galerie Wagner