Que faut-il retenir de la rétrospective du MoMA consacrée à Wolfgang Tillmans ?
Protéiforme et singulier, le travail du photographe allemand Wolfgang Tillmans faisait l’objet, jusqu’au 1er janvier dernier, d’une grande exposition au Museum of Modern Art de New York. Présentant près de 350 photographies, vidéos, et installations multimédia, Wolfgang Tillmans : To look without fear revenait sur l’inventivité et l’engagement du photographe et dévoilait toute l’ampleur et la profondeur de son travail, émaillé de photos dénudées de ses amis, de natures mortes, d’images abstraites ou encore d’autoportraits saisissants. Voici ce qu’il fallait retenir de cette exposition majeure de l’année 2022, qu’il sera possible de (re)voir cette année, à Toronto puis à San Francisco.
Inaugurée le 12 septembre 2022, l’exposition Wolfgang Tillmans : To look without fear qui vient de s’achever au MoMA est le résultat de 8 années de dialogue avec l’artiste. Né en 1968 dans une Allemagne divisée, Wolfgang Tillmans s’est, au fil des années, imposé comme l’un des plus grands photographe de sa génération. Présentant des œuvres réalisées tout au long de sa carrière, cette rétrospective jette un coup de projecteur sur son travail trans-genres, que l’on aurait tort de restreindre à la photographie. Elle regroupe environ 350 photographies, vidéos, et installations multimédia, mettant en lumière toute l’inventivité de ce fin observateur et son intérêt constant pour la justice sociale, la vie nocture, l’astronomie, la musique, la vidéo et plus largement les images en mouvement. « Wolfgang Tillmans a toujours été un artiste très engagé, surtout auprès de la jeunesse et de la culture club des années 1990 en Europe », déclare en ce sens la commissaire de l’exposition, Roxana Marcoci.
S’ouvrant sur une immense projection vidéo intitulée Einbein (leg), montrant une simple jambe humaine en mouvement, cette rétrospective consacrée au premier photographe et artiste non-britannique à recevoir le Turner Prize rappelle que tout est, selon lui, digne d’intérêt. En témoigne de nombreuses photos, dont le format parfois gigantesque dénote avec la légèreté de leur sujet on ne peut plus prosaïque, à l’instar d’une colonne en béton, d’une souris fouinant dans un sac poubelle ou d’une bouteille d’eau en plastique, qui sert de support à l’iPhone de l’artiste. C’est de là peut-être que vient son intérêt pour les images abstraites, réalisées sans appareil photo, et également présentées au sein de l’exposition. Car Wolfgang Tillmans a toujours joué avec les limites du visible.
Au fur et à mesure du parcours, le spectateur découvre également des portraits intimistes, croisant tour à tour la photographe Nan Goldin, l’actrice Chloë Sevigny, le rappeur Franck Ocean, ou encore le créateur de mode Lutz Huelle et son amie artiste Alexandra Bircken, nus sous leurs manteaux et perchés sur un arbre. Prise en 1992, la photo fera scandale. En cause : l’androgynie et la nudité de ses modèles, dont la ressemblance interroge le genre, trouble et fait penser à certains qu’il s’agit là d’une relation incestueuse. Il faut dire que Wolfgang Tillmans considère son rôle d’artiste comme celui d’un « amplificateur », notamment ce qui concerne les enjeux sociaux et politiques. Dans son œuvre, la critique sociale est ainsi très souvent sous-jacente. Évidente, à travers ses clichés de manifestations saisis à travers le monde, elle se fait plus subtile, sur ses photos qui nous interrogent sur la création même des images, dans un monde qui en est saturé.
Également exposée et montrant deux hommes s’embrassant à pleine bouche dans un nightclub de Londres, The Cock, est sans doute l’une de ses photographies les plus célèbres. Saisie en 2002 et titillant trop frontalement l’homophobie latente d’une frange de la société, elle aussi fera scandale. Titiller, interroger via son regard : tel est la volonté de Wolfgang Tillmans, pour qui la subjectivité du spectateur est aussi essentielle. « Le spectateur devrait entrer dans mes œuvres avec ses propres yeux, et via le prisme de sa propre vie » déclare-t-il en ce sens. Le titre de la rétrospective s’en fait d’ailleurs l’écho, il nous invite, via nos propres yeux, à se confronter sans peur au regard parfois cru de l’artiste sur le monde contemporain.
Outre le spectateur, cette rétrospective établit par ailleurs une autre connexion : celle entre les œuvres et l’espace dans lequel elles sont présentées. Réinventant la manière d’exposer la photographie conformément à ce que Wolfgang Tillmans a fait tout au long de sa carrière, elle présente ainsi une constellation d’images aux formats divers et variés, disposées pêle-mêle sur des tables, présentées sans cadres, collées directement sur les cimaises, ou encore fixées avec de simples épingles.
Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de voir l’exposition, ou pour ceux qui souhaiteraient la découvrir sous un autre jour, il sera possible de la (re)voir à la Art Gallery of Ontario, à Toronto, à partir du mois d’avril, et au Musée d’art moderne de San Francisco, à partir de novembre.