Tom of Finland ou l’art vecteur de la liberté sexuelle
Avec ses illustrations homoérotiques le plus souvent réalisées au crayon gris, l’artiste finlandais Tom of Finland (de son vrai nom Touko Laaksonen) a mis en lumière l’homosexualité (et certains fétichismes tels que ceux du cuir et des uniformes) bien avant sa dépénalisation dans la plupart des pays occidentaux. Alors que vient de s’achever le Pride Month, retour sur un artiste de plus en plus connu du grand public, à l’avant-garde de la liberté sexuelle.
Sur ses dessins, l’homme est viril. La silhouette, ultra-musclée, est moulée dans des vêtements – souvent des uniformes – soulignant des biceps et pectoraux saillants et une entrejambe bien garnie, à en croire la protubérance visible sous le tissu. De son vrai nom Touko Laaksonen, l’artiste Tom of Finland a fait des archétypes masculins que sont les bûcherons, les marins, les policiers ou encore les soldats l’unique sujet de ses dessins érotiques, si ce n’est pornographiques. Né dans la campagne du sud-ouest de la Finlande en 1920, il est peu à peu devenu un monument de la culture gay, et plus récemment, de la pop culture tout court. En témoigne les nombreuses collaborations qui lui rendent hommage, instiguées par la Tom of Finland Foundation et des labels de mode tels que JW Anderson et Diesel. Mais aussi un biopic, que lui a consacré le réalisateur finlandais Dome Karukoski en 2017. Ou encore de nombreuses expositions, revenant sur son travail libidineux, telle que « The Darkroom », présentée au Fotografiska de New York, en 2021, et consacrée à un pan peu connu de son œuvre : ses photographies.
C’est parfois à partir de ces dernières que Touko Laaksonen dessine ses personnages, eux-mêmes devenus des icônes gays. Avec leur virilité exacerbée, les homosexuels qu’il imagine tordent le cou au cliché de l’homme gay ultra-efféminé véhiculé à l’époque par La Cage aux Folles (1978) entre autres. Bodybuildés, poilus, parfois percés aux tétons, ses bikers tout de cuir vêtus et ses militaires exhibent fièrement leur imposant pénis en érection et s’adonnent, librement, à tous leurs fantasmes, BDSM y compris. « Si je n’ai pas d’érection lorsque je dessine, alors c’est que mon dessin n’est pas réussi » déclare l’artiste.
Fils de deux enseignants, Touko Laaksonen a grandi dans une Finlande tout juste libérée du joug de la Russie impériale. Sensibilisé à l’art, la littérature et la musique par ses parents, il pratique le piano dès son plus jeune âge avant que son intérêt ne se tourne vers les gardes forestiers, bûcherons et autres agriculteurs, aussi rudes et sauvages que campagne qui les entoure. C’est à cette époque qu’il commence à espionner son voisin, un fermier prénommé Urho, devenu son premier héros.
En 1939, à 19 ans, Touko Laaksonen quitte sa région natale pour Helsinki, où il suit des cours par correspondance en marketing et dans la publicité, avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale. Devenu officier dans une armée finlandaise alliée des nazis, il enrichit son répertoire composé d’ouvriers du bâtiment, de marins et de policiers, pour y ajouter des militaires. En 1956, poussé par un ami, il envoie quelques dessins au magazine américain Physique Pictorial, qu’il signe simplement « Tom », à la fois pour éviter d’attirer l’attention, et parce qu’il estime que son nom de baptême est trop compliqué à prononcer pour un public étranger.
Pour la couverture de son numéro printemps 1957, Physique Pictorial choisit l’un d’entre eux. Touko Laaksonen devient alors Tom of Finland. Mais jusqu’en 1973, ses illustrations, tellement détaillées qu’elles évoquent presque la gravure, ne lui rapportent pas suffisamment d’argent et l’obligent à cumuler un travail dans la publicité. En 1976, Tom of Finland, dont la notoriété ne cesse de croître au sein de la communauté gay, organise sa première exposition à Hambourg et réalise des commandes pour plusieurs clients. En 1978, c’est à Los Angeles qu’il expose son travail. À partir de cette date, il se rendra très régulièrement aux États-Unis, et deviendra un membre connu et reconnu de la scène gay internationale, se liant notamment d’amitié avec le photographe Robert Mapplethorpe, lui aussi passé à la postérité pour ses clichés homoérotiques.
Bien avant les émeutes de Stonewall, survenues en 1969 dans un bar gay de New York et à l’origine des Marches des Fiertés du monde entier, Tom of Finland contribue à faire évoluer le regard sur la communauté homosexuelle et met en lumière sa frange fétichiste. Malgré l’homophobie de la société, et alors que l’homosexualité reste illégale jusqu’en 1971 en Finlande, qu’elle y est considérée comme une maladie jusqu’en 1981, et que sa « promotion » n’y est décriminalisée qu’en 1999, Tom of Finland ose dessiner des scènes de sexe explicites entre hommes, affirmant par là même le pouvoir libérateur de l’art. « Je voulais influencer les gays et changer leur opinion d’eux-mêmes. Je voulais peut-être aussi influencer les hétérosexuels, pour qu’ils comprennent et acceptent la beauté et les droits que les gays devraient avoir » déclare-t-il. Selon ses propre mots, il dépeint « des gays heureux d’être ensemble, fiers de ce qu’ils sont ». Aujourd’hui, ses créations ont intégré les fonds de grandes institutions muséales, comme le MoMA, et ont donné naissance à une fondation mettant en avant l’art érotique d’une nouvelle génération d’artistes. Preuve que son héritage est vivace, la Fondation Tom of Finland organise d’ailleurs cet été le Tom of Finland Art & Culture Festival, du 21 au 23 juillet à Londres, puis du 6 au 8 octobre à Los Angeles.