Paris Photo 2023 : la symbiose de l’œil, du réel et de la machine
Rassemblant plus de 800 artistes, la 26ème édition de la foire internationale de la photographie Paris Photo se tenait du 9 au 12 novembre derniers, au Grand Palais Éphémère. Retour sur une édition réussie malgré un contexte international difficile, qui a mis en lumière de nouveaux talents de la photographie et interrogé le futur de la photographie, à l’heure où le développement frénétique de l’intelligence artificielle est aussi vertigineux que prometteur pour les artistes.
Organisée dans un contexte international sinistre, la foire Paris Photo offrait une bouffée d’oxygène et de poésie bienvenue, face à une actualité toujours plus morose. Avec 191 exposants venus de 26 pays différents et plus de 800 artistes, dont 36% de femmes, cette nouvelle édition de Paris Photo déroulait sous le regard de ses 65 000 visiteurs un vaste panorama de pratiques et d’esthétiques, prouvant s’il le fallait la grande richesse du medium photographique. Une diversité que reflétait également la fourchette des prix affichés, allant de quelques centaines d’euros à plusieurs milliers, selon la cote des artistes exposés, des stars internationales Nan Goldin ou Jurgen Teller, aux talents émergents. Souvent inférieurs à ceux pratiqués dans les foires d’art contemporains pour la peinture ou la sculpture, ces prix ont également attiré un public de collectionneurs éclectique, faisant de la photographie un premier investissement idéal.
Organisée comme chaque année en différents secteurs – « Principal », « Curiosa », etc. –, cette 26ème édition de Paris Photo accueillait de nombreux nouveaux venus. Sur le secteur principal, trente-cinq galeries y prenaient part pour la première fois, comme les parisiennes 193 Gallery et Sator, la galerie Bacqueville de Lille, ou encore la galerie Stieglitz19 d’Anvers, qui exposait les clichés saisissants du photographe chinois Ren Hang, qui s’est donné la mort en 2017 et a été censuré par le régime chinois pour ses nus poétiques, qualifiés à tort de « pornographiques ».
Sur le secteur « Curiosa », dont le nom témoigne de la volonté de Paris Photo de dénicher chaque année de nouveaux talents susceptibles de titiller la curiosité des collectionneurs, seize galeries provenant de neuf pays, de l’Argentine, à l’Australie, en passant par l’Allemagne, Taïwan et la Suisse, reflétaient le dynamisme de la nouvelle génération de photographes internationaux. Sélectionnés par Anna Planas, la nouvelle directrice artistique de Paris Photo, co-fondatrice de la galerie Temple, directrice de la galerie-librairie delpire & co, et passée par l’agence Magnum, dix-sept artistes y exposaient pour la première fois, bénéficiant d’un solo show leur offrant une vitrine formidable.
Représentée par la galerie Anne-Laure Buffard, la photographe franco-vietnamienne Nhu Xuan Hua, qui a déjà mis son talent au service des certaines de plus grandes maisons de luxe telles que Dior, Maison Marigela ou Gucci, présentait par exemple « Tropism, Consequences of a Displaced Memory ». Retravaillant des photos issues des archives familiales en dissolvant les silhouettes y apparaissant initialement, l’artiste interrogeait son rapport au passé et à son héritage, pour créer des images intrigantes voire inquiétantes. De son côté, marquée par les événements ayant suivi la mort de Mahsa Amini en Iran en 2022, l’Iranienne Hoda Afshar présentait « In Turn », un projet mettant en scène des femmes aux cheveux libérés, se faisant des tresses les unes aux autres. Une manière pour l’artiste qui exposait sur le stand de la galerie Milani de célébrer la féminité et la sororité, face à la violence dont sont encore victimes les femmes.
Pour la cinquième année consécutive, ces dernières étaient d’ailleurs au cœur du parcours « Elles x Paris Photo », pensé avec le collectif Elles pour promouvoir la visibilité des femmes artistes. Sous le commissariat de Fiona Rogers, ce parcours présentait cette année le travail de trente-huit photographes (Zanele Muholi, Nan Goldin, Annegret Soltau, Annie Wang, Yelena Yemchuk…) sélectionnées parmi les galeries présentes au Grand Palais Ephémère. En partenariat avec le ministère de la Culture, ce projet qui bénéficie également du soutien du programme « Women In Motion » du conglomérat de luxe Kering a permis en 5 ans de faire passer de 20% à 36% la représentation des artistes féminines à Paris Photo. Un chiffre encore trop bas selon la Ministre de la culture Rima Abdul-Malak venue flâner dans les allées de Paris Photo, mais dont la progression est prometteuse.
Pour la première fois cette année, Paris Photo présentait également un tout nouveau secteur « Digital », consacré aux nouvelles technologies, afin d’explorer l’évolution de la photographie, au contact notamment de l’intelligence artificielle et des générateurs d’images tels que MidJourney ou Dall·E, qui ouvrent le champ des possibles et repoussent les frontières du medium. De témoin d’un moment réel passé immortalisé à jamais, la photographie est en effet aussi devenue, à l’instar d’autres œuvres d’art, une composition parfois imaginaire. S’appuyant sur le monde pour livrer des images inédites, les générateurs d’images utilisant l’IA sont ainsi de nouveaux terrains de jeu pour certains artistes, tels que ceux sélectionnés cette année pour Paris Photo par la spécialiste en art digital Nina Roehrs.
Sur le stand de l’Avant Galerie Vossen, on découvrait ainsi à travers l’incroyable exposition « « Aïe Aïe A.I ! » les œuvres de l’américain Robbie Barrat qui, à partir d’images de cerfs réelles et issues du jeu vidéo « Big Buck Hunter », crée de nouvelles compositions brouillant les frontières entre mondes réel et virtuel, naturel et artificiel. Exposant à ses côtés, l’artiste numérique reconnue Albertine Meunier présentait quant à elle « HyperChips », une série de portraits « volontairement décalés », réalisés avec l’aide de l’IA, et montrant une femme dégustant des saucisses. Installé au sein de l’incubateur Poush Manifesto à Aubervilliers, le studio de création numérique u2p050 faisait lui aussi sourire avec les clichés issus de son exposition « Smack Dat » présentée cet été, et montrant des hommes influents (Emmanuel Macron, George Bush, Elon Musk…) s’embrassant eux-mêmes à pleine bouche. Cette série offrait une double réflexion. D’abord sur la mégalomanie et le narcissisme intimement liés à la photographie à l’heure du selfie et des réseaux sociaux. Ensuite sur la naissance des images et l’intelligence artificielle elle-même ; les générateurs d’images tels que Dall-E et MidJourney étant accessibles à tous, ils ont ouvert une nouvelle boîte de Pandore, dont le contenu est perçu par certains comme une menace pour la photographie. La décision en avril dernier de remettre le Sony World Photography Award au photographe allemand Boris Eldagsen pour son « faux » cliché crée par une IA n’a rien arrangé. Mais comme aiment le rappeler les artistes les plus enthousiastes vis-à-vis de l’intelligence artificielle, la machine ne crée pas seule. Et les nouveaux « photographes digitaux », gardent un certain contrôle sur la fabrique de leurs images, en devenant des curateurs de leurs propres créations, via la soumission de mots et d’images pour orienter les IA.
La prochaine édition de Paris Photo se tiendra du 7 au 10 novembre 2024.
Crédit photo : Andrés Barón, "Peels", 2019. Courtesy DS Galerie